8. As-tu dit : « Prenez-moi et ma mère pour deux divinités ? »

Si Jésus était un « walad Allah », il serait une créature extérieure tout en étant charnellement liée à Dieu, ce qui est une absurdité et une contradiction. Le mot Fils « Ibn », comme on l’a vu, ne se réduit justement pas à la signification charnelle de « walad », enfanté.

Mais si on ne comprend pas cela, on pourrait imaginer qu’au jour du jugement Dieu rappelle : « ‘Issa (Jésus), fils de Maryam, as-tu dit aux gens : Prenez-moi et ma mère pour deux divinités, à côté de Dieu ? » (Sourate La table servie 5, 116).

En plus de cette erreur, on en imagine une autre à propos de l’identité de « ma mère » dans ce verset. En araméen, l’Esprit Saint est un mot féminin et a une connotation maternelle. Par exemple, saint Aphraate (dit le Sage de Perse) redoute qu’en se mariant, un homme oublie Dieu « son Père et l’Esprit Saint sa mère » (1).

Dans l’Eglise assyro-chaldéenne (de langue araméenne) l’expression « mère de Jésus » désigne le Saint-Esprit (un mot féminin) et cette expression est encore tout à fait usuelle, aujourd’hui. Tel est bien sûr le sens de l’expression « mère de ‘Issa (Jésus) » dans la sourate Al Ma‘ida, La table servie : « Prenez-moi et l’Esprit Saint pour deux divinités, à côté de Dieu ? » (s. 5, 116). L’ironie du verset ne porte pas sur l’invention consistant à mettre Maryam à côté de Dieu mais sur le fait que ‘Issa (Jésus) lui-même soit mis en scène, au Jour du Jugement, pour accuser les chrétiens (ici arabes) de croire en lui et en l’Esprit Saint ! Que sa « mère » soit l’Esprit Saint, beaucoup de commentateurs musulmans anciens le savaient encore très bien. Tabarî, al-Baydawî, al-Zamahšarî, al-Jalâlayn ou d’autres encore moins connus : tous indiquent à propos de ce verset (s. 5, 116) qu’il s’agit de l’Esprit-Saint et non pas de la Vierge Marie (2).

Cela veut dire aussi que ce verset s’adresse à des Arabes chrétiens, et qui, de surcroît, partagent les expressions théologiques chrétiennes du monde perse, chaldéen, à près de mille kilomètres de La Mecque. Mais parler de cela, c’est politiquement très incorrect : si un verset du Coran ne s’explique que par un contexte syro-araméen, comment l’islam a-t-il pu apparaître si loin de là ? (3)

Quant aux chrétiens, il est bien évidemment faux de dire qu’ils adorent la déesse Maryam, une compagne d’Allah, une divinité. Ils vénèrent celle qui a enfanté Jésus tout en restant vierge. C’est une maternité royale : l’enfant de Maryam est de la descendance de David (Daoud) et son règne n’aura pas de fin. Son enfant (walad) est « Verbe » (venant) de Dieu (son Fils-Ibn)! L’étonnement, la stupeur, l’émerveillement devant une telle maternité conduisent à vénérer Maryam la très pure.

 

(1) APHRAATE, Les exposés [écrits entre 336 et 345], trad. Marie-Joseph Pierre, Sources Chrétiennes n° 359, Paris, Cerf, 1989, t.2 p.791

(2) Cf. AZZI Joseph, Le prêtre et le prophète : aux sources du Coran, Maisonneuve & Larose, Paris 2001, p.169

On pourra lire à ce sujet : Patricia CRONE & Michael COOK, Hagarism. The Making of the Islamic World, 1977. Christoph LUXENBERG - Die Syro-Aramäische Lesart des Koran (2004) (« La Lecture Syro-araméenne du Coran ») ‒ à propos de l’origine syriaque d’expressions ou de mots du Coran. Markus Groß / Karl-Heinz Ohlig (Hg.), Vom Koran zum Islam (Schriften zur frühen Islam-geschichte und zum Koran, Volume 4, 2009) ‒ à propos du contexte syriaque de l’écriture du coran, qui se poursuit dans des réécritures aux 8e et 9e siècles.